PROVENCE

TERRE D'ESPRIT

ET DE LETTRES

 

Découverte de la Provence en dehors des sentiers battus, avec la poésie et la littérature

FREDERIC MISTRAL - Les olivades

 

Le temps qui devient froid et la mer qui déferle,

Tout me dit que l'hiver est arrivé avant moi

Et qu'il faut, sans retard, amassant mes olives

En offrir l'huile vierge à l'autel du bon Dieu.

FREDERIC MISTRAL - A notre peuple

 

Pauvre peuple de Provence,

Entamé de plus en plus,

Sans abri et sans défense,

Aux outrages abandonné !

 

A l'école on t'arrache

Le langage de tes aïeux

Et l'on achève ton déshonneur,

Peuple, en te dénaturant.

 

Des vieux mots de ton usage

Où tu penses librement

Un impertinent de passage

t'interdit le parler.

 

On patine ton cerveau,

Comme un niais on t'endoctrine

Afin que la manivelle

Tourne tous au même biais.

 

On méconnaît ton Histoire,

On te la conte à rebours,

On te dresse et te redresse,

Tel qu'un peuple de bossus.

 

Ils te font croire que leur lune

Brille plus que ton soleil,

Et ton âme s'enlise,

Aplatie sous le rouleau.

 

Ils te font croire que tes pères

N'ont jamais rien fait de bon :

Et, revêche à l'usurpateur,

Nul jamais qui lui réponde !

 

Tes belles chansons naïves,

Tu les oublies, ô badaud,

Pour les vilenies stupides

Qui te pleuvent de là-haut !

 

Tu ne sais plus arranger tes fêtes,

Tu ne sais plus jouer tes jeux ;

Puis, quand tu as changé de veste,

Tu restes gueux comme Job.

 

Et pourtant c'est toi la mine,

Le couvain de la nation

Où celui de là-haut sème

Son éternelle création.

 

 

Toi, sauvant les habitudes

Et l'allure du Midi,

Tu sauvegardes l'harmonie

De la race et du séjour.

 

Notre langue et ses proverbes

Ont leur nid à ton foyer,

Et tu nous gardes l'orgueil

De tes filles délectables.

 

Pour te réduire à merci

Tout te presse; mais, têtu,

Rien qu'avec un feuillet d'oignon

Tu te remontes bon soldat.

 

C'est toi seul qui fouilles la terre

Et qui tailles l'olivier :

Tu cherches le bonheur là où il résidait

Et la joie où elle était,

 

Mais, beau peuple, tu peux le voir :

Les criquets et les drôles

Qui aujourd'hui méprisent leurs ancêtres

N'achètent guère de moulins.

 

L'oiseau de cage lui-même

Qui a de graines son soûl

Finit par mourir de rage

Devant son abreuvoir.

 

Que ta vue s'élargisse donc,

Peuple, sur ton pays doux,

Car un chien de bergerie

Sur sa litière en bat deux.

 

Fouille tes lopins, refouille !

Parle fier ton provençal;

Si entre mer, Durance et Rhône,

Il fait bon vivre, Dieu le sait !

 

Fose ti cantoun, refose !

Parlo fièr toun prouvençau,

Qu'entre mar, Durènço e Rose

Fai bon vière, Dièu lou saup !

 

 

 

HENRI BOSCO - extrait du roman L'enfant et la Rivière

Quand j'étais tout enfant, nous habitions à la campagne. La maison qui nous abritait n'était qu'une petite métairie isolée au milieu des champs. Là nous vivions en paix. Mes parents gardaient avec eux une grand-tante paternelle, tante Martine.

C'était une femme à l'antique avec la coiffe de piqué, la robe à plis et les ciseaux d'argent pendus à la ceinture. Elle régentait tout le monde : les gens, le chien, les canards et les poules. Quant à moi, j'étais gourmandé du matin au soir. Je suis doux cependant et bien facile à conduire. N'importe ! Elle grondait. C'est que, m'adorant en secret, elle croyait cacher ainsi ce sentiment d'adoration qui jaillissait, à la moindre occasion, de toute sa personne.

Autour de nous, on ne voyait que des champs, longues haies de cyprès, petites cultures et deux ou trois métairies solitaires. Ce paysage monotone m'attristait.

Mais au-delà coulait une rivière. On n'en parlait souvent, à la veillée, surtout l'hiver, mais je ne l'avais jamais vue. Elle a joué un grand rôle dans la famille, à cause du bien et du mal qu'elle faisait à nos cultures. Tantôt elle fertilisait la terre, tantôt elle la pourrissait. Car c'était, paraît-il une grande et puissante rivière.

En automne, au moment des pluies, ces eaux montaient. On les entendait qui grondaient au loin. Parfois elles passaient par-dessus les digues de terre et inondaient nos champs. Puis elles repartaient, en laissant de la vase.

Au printemps quand les neiges fondent dans les Alpes, d'autres eaux apparaissaient. Les digues craquaient sous leur poids est de nouveau les prairies à perte de vue ne formaient qu'un seul étang. Mais, en été, sous la chaleur torride, la rivière s'évaporait. Alors des îlots de cailloux et de sable coupaient le courant et fumaient au soleil. Du moins on le disait. Je ne le savais que par ouï-dire.

Mon père m'avait averti.

- Amuse-toi, va où tu veux. Ce n'est pas la place qui te manque. Mais je te défends de courir du côté de la rivière.

Et ma mère avait ajouté :

- A la rivière, mon enfant, il y a des trous morts où l'on se noie, des serpents parmi les roseaux et des bohémiens sur les rives.

Il n'en fallait pas plus pour me faire rêver de la rivière, nuit et jour. ...

LOUIS BRAUQUIER - Poésie - Le volet sur le Pourra (Saint-Mitre Les Remparts)

 

Le volet de bois plein, dur à pousser,

Découvre un paysage qui s'achève sur la mer.

Dans le creux du Pourra, au bout du champ,

L'hiver, un étang naît des douces pluies silencieuses

Et des infiltrations des eaux mortes voisines

L'Engrenier, Lavalduc, solitaires de sel.

 

L'été, il s'évapore et se forme en nuages hésitants

Qui s'orientent, changeant de ciel.

Alors, à nouveau, cette argile craquelée

Où l'antédiluvien n'a pas laissé de traces,

Cette vallée déserte où ne passe personne,

Se fleurit de saladelles, filles amères du soleil et du vent,

Fragiles immortelles sauvages, sans parfum,

Dont le dénuement fier touche les cœurs difficiles,

Plus que la rose.

 

Derrière le volet, paisible dans l'air calme

A l'horizon, fume Port-Saint-Louis du Rhône

Alphonse Daudet - extrait de Les lettres de mon moulin installation

 

Ce sont les lapins qui ont été étonnés !

Depuis si longtemps qu'ils voyaient la porte du moulin fermée, les murs et la plate-forme envahis par les herbes, ils avaient fini par croire que la race des meuniers était éteinte, et, trouvant la place bonne, ils en avaient fait quelque chose comme un quartier général, un centre d'opérations stratégiques : le moulin de Jemmapes des lapins…

La nuit de mon arrivée, il y en avait bien, sans mentir, une vingtaine assise en rond sur la plate-forme, en train de se chauffer les pattes à un rayon de lune… Le temps d'entrouvrir une lucarne, frrt ! Voilà le bivouac en déroute, et tous ces petits derrières blancs qui détalent, la queue en l'air, dans le fourré. J'espère bien qu'ils reviendront.

Quelqu'un de très étonné aussi, en me voyant, c'est le locataire du premier, un vieux hibou sinistre, à tête de penseur, qui habite le moulin depuis plus de vingt ans. Je l'ai trouvé dans la chambre du haut, immobile et droit sur l'arbre de couche, au milieu des plâtras, des tuiles tombées. Il m'a regardé un moment avec son oeil rond; puis, tout effaré de ne pas me reconnaître, il s'est mis à faire : « Hou ! Hou ! » et à secouer péniblement ses ailes grises de poussière ; ces diables de penseur ! Ça ne se brosse jamais… N'importe !

GABRIEL AUDISIO - Poésie - Midi aux Camoins

 

Les vieilles murailles, les bastides,

Le hameau tout entier, à bout de souffle,

Portent le poids de midi brûlant.

 

L'étagement des murs blancs

Et des tuiles écarlates

Coule incandescent comme une lave

Sur l'escarpement sec d'un coteau.

 

Midi pèse.

Il ne suffit pas

Du cri solitaire d'un coq,

Rauque d'amour et de chaleur,

Pour soulever sur le chemin

La poussière morte et tassée,

Pour troubler le chien sur la place.

 

Midi ne se contente pas

D'une domination partielle.

Il lui faut l'absolue maîtrise

Des âmes et des muscles.

 

Mais il me semble bien que j'aurais

Une joie non sans quelque malice,

ô ma marraine, si tu jouais

Un air sur l'harmonium de l'église,

 

Et surtout si Rose et Madeleine

Allaient au lavoir gaillardement

Faire claquer les battoirs

Et bavarder en patois !

JOSEPH D'ARBAUD - poèsie Fille d'Arles

 

Veux-tu que je te dise, belle fille, pourquoi tu vas, chaque matin, épanouie dans ta chapelle, comme la rose des jardins ?

Écoute : la cigale chante, Mireille chemine à travers la Crau; là-bas, le galop des cavales, fait envoler les perdreaux ;

Mais, pâles sous la lumière éblouissante, elle voit au midi riant, dans l'ombre des touffes de ronces, briller la face de Vincent.

L'Anglore passe… Voici Esterelle, toute blanche dans le lointain.

Le vent souffle sur les grands blés et Calendal pleure d'amour.

Reine des nuits pleines d'étoiles, qui aux plis ouverts de ton manteau, en versant le feu dans ses paupières, emportait notre Aubanel ;

Toi qui, au soleil qui s'éveille, lâche, des ruches en émoi, des essaims bourdonnant d'abeilles et les chasses dans la clarté ;

Mère, qui aux filles de la race, garde, pour fleurir la cité, et en dépit du temps qui passe, la floraison de ta beauté ;

Voici ton sang, Vénus alerte, le frais rosier s'est épanoui, voici le rire claire de Nerte et la chanson de Magali.

Voilà pourquoi, dans ta chapelle, fille d'Arles, chaque matin, tu vas, jeune, épanouie, belle comme la rose des jardins.

Théodore Aubanel - poésie La Miougrano Entre-Duberto - Le livre de l'Amour

 

Ah ! Si mon cœur avait des ailes, sur ton cou, sur ton épaule,

Il volerait tout en feu !

À ton oreille, ô mignonne,

Il te dirait des merveilles, des merveilles d'amour.

 

Ah ! Si mon cœur avait des ailes, sur tes lèvres pâles,

Il volerait éperdu ;

Mon cœur, ô jeune fille,

Te ferait cent baisers et cent caresses ;

Il parlerait, il ne parlerait plus !

 

Pitié ! Mon cœur n'a point d'ailes !

Le froid, l'ennui langoureux le glace : tiens !

Le voilà sur ma main ; prends le, ô belle, dans la tienne !

Comme un agneau mon cœur bêle,

Et il pleure comme un enfant.